1.1   INTRODUCTION A LA MICROSCOPIE A EFFET TUNNEL

 

 

En 1986, le prix Nobel de Physique récompensa Gerd Binnig, Heinrich Rohrer et Ernst Ruska ; les deux premiers pour des travaux très récents, le troisième pour des travaux vieux de plus de 50 ans! En exploitant le principe de l’effet tunnel, Binnig et Rohrer montrèrent en 1983 des images à l’échelle atomique d’une surface de silicium balayée à l’aide d’une pointe métallique [1,2]. Ruska, en 1931, avait réalisé le premier microscope électronique. Deux découvertes prestigieuses, et deux principes différents.

 

Jusqu’à la fin du siècle dernier, les scientifiques pensaient atteindre l’observation de l’infiniment petit en augmentant sans cesse le grandissement des microscopes optiques, tout en réduisant les phénomènes perturbateurs. Le critère de  Rayleigh ruina tous leurs espoirs en établissant que la taille du plus petit détail détectable ne peut être inférieure à la demi longueur d’onde l de la lumière utilisée. Parmi les trois solutions classiques permettent d’augmenter la résolution : augmentation de l’indice de propagation, augmentation de l’angle d’ouverture du système collecteur et diminution de la longueur d’onde, la dernière fut retenue en utilisant des rayonnements tels que les rayons X (Roentgen en 1895) ou les rayons g. Sans grand succès!

 

Trente ans plus tard, les résultats de Louis de Broglie sur la dualité onde-corpuscule furent mis en application par Busch (1927) afin de produire des images en focalisant un faisceau d’électrons. Mais c’est à Ruska que reviendra la paternité du premier microscope électronique, point de départ des générations de microscopes à balayage (Oatley 1950) et à transmission (Crewe 1968). Bien que la résolution de tels microscopes ait formidablement augmentée (d’un facteur 100 par rapport à un microscope optique classique), ceux-ci travaillent toujours dans un domaine que les opticiens nomment le « champ lointain ».

 

         En optique, il a en effet été établi que le champ électromagnétique émis ou réfléchi par un objet se compose de deux parties : une onde progressive et une onde non radiative évanescente. Les hautes fréquences spatiales de l’objet (supérieures à 2/l) produisent le champ évanescent : si on veut accéder à ces informations fines, il faut donc détecter les composantes non radiatives au voisinage immédiat de l’objet, à l’aide d'une sonde. On travaille alors en « champ proche » et la microscopie devient à « sonde locale », ce qui est le cas de la microscopie STM.

 

Si l’invention du microscope à effet tunnel est attribuée à Binnig et Rohrer, on ne saurait oublier toutes les tentatives réalisées antérieurement parmi lesquelles on peut citer le topografiner de Young et al. Le succès de Binnig et Rohrer est étroitement lié aux formidables progrès réalisés en électronique, permettant notamment le balayage à des distances très proches de la surface (de l’ordre du nanomètre) mais aussi la détection et la régulation de courants électriques d’intensité aussi faible que le nanoampère.

 

Avant de développer en détail le principe de l’effet tunnel, quelques notions sur la microscopie tunnel doivent être rappelées.

 

 

1.2   LE MICROSCOPE A EFFET TUNNEL

 

 

1.2.1)         Le microscope

 

 

Le microscope à effet tunnel est un microscope à balayage mesurant un courant tunnel It résultant de l’application d’une différence de potentiel V entre une pointe métallique et une surface conductrice. Des surfaces métalliques ou semi-conductrices sont ainsi observées sur des zones allant du micromètre à la fraction du nanomètre, c’est-à-dire à l’échelle atomique. Dans nos expériences, nous avons utilisé un microscope STM/AFM sous ultravide de marque OMICRON. L’échantillon est placé sur un tube piézo-électrique autorisant des déplacements dans les trois directions, avec des résolutions latérales de 1/10ièmeÅ et une résolution verticale (en Z) de 1/100ièmeÅ permettant d’obtenir la résolution atomique.

 

La figure 1.1 présente une photographie du microscope utilisé :

 

 

Figure 1.1 : Photographie du microscope STM.

 

         Ce microscope est suspendu à quatre ressorts. En position abaissée, un système d'amortissement par courants de Foucault isole le microscope des perturbations vibratoires extérieures.

 

 

1.2.2)         Le principe de fonctionnement du microscope

 

 

Le microscope permet de balayer la surface suivant différents modes de fonctionnement :

·        à hauteur Z(It) constante,

·        à courant It(Z) constant,

·        et en mode spectroscopique (mesure de It(V)).

 

Dans son mode le plus couramment utilisé, l’électronique permet de produire des images à courant constant ; le courant tunnel mesuré en chaque point de la surface est comparé à un courant de référence Iréf fixé par l’utilisateur. Une boucle de régulation ajuste, via le tube piézo-électrique, la distance pointe-surface afin de conserver le courant tunnel égal à Iréf. Lorsque   It >Iréf, la distance augmente. Elle diminue dans le cas contraire. La conversion de la tension appliquée au tube piézo-électrique dans une échelle de couleurs donne une image STM. Toutes les informations sont ensuite traitées par un ordinateur. Remarquons que le fonctionnement d’un tel microscope impose l’utilisation d’une électronique performante capable de mesurer des intensités de courant de quelques pico-ampères.

 

La figure 1.2 présente de manière succincte le fonctionnement du microscope :

Figure 1.2 : Schéma fonctionnel du microscope à effet tunnel.

 

         Ce microscope offre donc la possibilité d’observer des surfaces métalliques ou semi-conductrices via la mesure d’un courant tunnel. Pour interpréter correctement les informations incluses dans une image STM, nous allons maintenant établir l’origine physique de l’effet tunnel.

 

 

1.3   LE PRINCIPE DE L’EFFET TUNNEL

 

 

         En mécanique classique, un électron, rencontrant une barrière de potentiel, ne peut la traverser s’il possède une énergie E inférieure à celle de la barrière. Dans une approche quantique, la fonction d’onde y associée à l’électron n’est pas nulle à l’intérieur et au-delà de la  barrière de potentiel. Dans ces conditions, les électrons ont la possibilité de franchir la barrière de potentiel lorsque la largeur de celle-ci n’est pas trop grande : c’est ce qu’on appelle l’effet tunnel.

 

 

 

1.3.1)         Première approche avec un modèle unidimensionnel

 

 

         Considérons le modèle unidimensionnel (figure 1.3) où un électron incident, auquel est associée une onde YG, rencontre une barrière de potentiel U(z) de largeur d. Dans le cadre de la théorie quantique, les solutions de l’équation de Schrödinger pour chaque région correspondent à deux ondes progressives YG et YD à gauche et à droite de la barrière, et à une onde évanescente à l’intérieur de la barrière [3].

 

Figure 1.3 : Barrière de potentiel dans un modèle unidimensionnel.

 

         A l’aide des conditions de continuité, on établit l’expression du coefficient de transmission T(E) d’un électron de la partie gauche de la barrière vers la droite:

 

(1.1)

 

         Dans le cas d’une barrière de potentiel de forme quelconque et dans l’approximation Wentzel-Kramers-Brillouin (WKB), T(E) s’écrit [4]:

 

     (1.2)

 

         Pour fixer quelques grandeurs relatives à la microscopie STM, considérons une barrière de potentiel U = 4 eV (valeur typique rencontrée dans le cas d’un métal) de largeur d = 1 nm. Pour un électron d’énergie E = 2 eV, la longueur de décroissance l à l’intérieur de la barrière de potentiel U, définie par l = É/Ö(2m(U-E)), vaut environ 0,14 nm. D’après la relation 1.1, le coefficient de transmission est de l’ordre de 10-6. Lorsqu’on augmente de 0,2 nm la largeur de la barrière, T(E) décroît d’environ un facteur 10, conséquence de la décroissance exponentielle du coefficient de transmission.

 

         Dans une première approche du fonctionnement d’un microscope à effet tunnel, on considère généralement deux électrodes polarisées, de travaux de sortie FG et FD, séparées par un isolant (par exemple le vide). Les niveaux de Fermi EFG et EFD des deux électrodes se décalent en fonction de la différence de potentiel électrique appliquée V et un courant tunnel s’établit à travers la barrière de potentiel.

 

Lorsqu’on applique une faible tension entre les deux électrodes (½eV½ << F), la barrière de potentiel peut être modélisée par une forme trapézoïdale (figure 1.4).

 

 

Figure 1.4 : Barrière de potentiel trapézoïdale, EFG et EFD

correspondent aux niveaux de Fermi des électrodes.

 

         On peut démontrer que, dans ces conditions, le courant tunnel s’écrit de la manière suivante [5] :

   (1.3)

 

         Dans cette expression 1.3, uniquement valable dans le cas des électrons libres et pour une faible tension V appliquée, le courant tunnel est directement proportionnel à la différence de potentiel V et dépend exponentiellement de la distance entre les deux électrodes.

 

 

1.3.2)         Courant tunnel dans une approche hamiltonienne

 

 

         Dans cette approche plus réaliste, on considère que le faible recouvrement des orbitales atomiques des deux électrodes est à l’origine du courant tunnel.

 

La figure 1.5 présente le diagramme d’énergie du système comprenant les deux électrodes séparées par le vide. Les énergies sont référencées par rapport au vide.

 

Lorsqu’on approche les deux électrodes et qu’elles ne sont plus séparées que de quelques angströms, l’énergie potentielle UB de la barrière est différente des énergies UG et UD des électrodes de gauche et de droite lorsqu’elles sont isolées.

Afin de pouvoir mettre en œuvre la méthode des perturbations dépendantes du temps, on a coutume de séparer le système en deux sous-systèmes, de part et d’autre de z = 0. On identifie alors :

·        UG avec UB pour z < 0 (en prenant UD = 0)

·        et UD avec UB pour z > 0 (en prenant UG = 0).

La différence des niveaux d’énergie entre les deux électrodes vérifie : EFG-EFD = eV.

Figure 1.5 : Diagramme des énergies d’un système à deux électrodes séparées par du vide.

 

         D’après les travaux de Lang [6,7], basés sur le formalisme hamiltonien tunnel de Bardeen [8], à chaque électrode est associé un hamiltonien noté HG (respectivement HD) vérifiant :

 

      (1.4)

         La fonction d’onde d’un électron tunnel peut s’écrire comme une combinaison linéaire des états des deux électrodes :

 

Y  (1.5)

avec   (1.6)

 

          m et n réfèrent respectivement les états électroniques des électrodes de gauche et de droite. A t = -¥, l’électron est dans l’état FGm avec les conditions aux limites : a(-¥) = 1 et bn(-¥) = 0 [9,10].

 

         Lorsqu’on rapproche les deux électrodes, l’Hamiltonien total s’écrit H = HG+UD. En considérant l’interaction entre les deux électrodes comme faible, la résolution de l’équation de Schrödinger dépendante du temps dans la théorie des perturbations au premier ordre, nous amène à définir la matrice de transition Mmn d’un électron de l’état m de gauche vers l’état n de droite:

 

         (1.7)

 

         en utilisant le théorème de Green, on peut réécrire 1.7 :

 

    (1.8)

 

         où l’on intègre 1.8 sur une surface dans la barrière de potentiel entre les deux électrodes. D’après la règle d’or de Fermi, l’expression du courant tunnel, en fonction de la différence de potentiel V, de la matrice de transition Mmn et de la fonction de distribution de Fermi-Dirac f , est:

soit :

         (1.9)


         avec :

Pmn représentant la probabilité de transition de l’électron de l’état m vers l’état n.

 

         Dans la limite des faibles tensions et températures, l’expression du courant tunnel devient :

 

  (1.10)

 

         Le principal problème revient à évaluer la matrice de transition en fonction de l’expression analytique des états des deux électrodes. Pour mieux rendre compte du fonctionnement du microscope, l’une des électrodes est remplacée par une pointe : la mesure du courant tunnel devient ainsi locale. Même si les théories actuelles permettent de décrire correctement les fonctions d’onde associées aux états électroniques de la surface, la modélisation d’une pointe réelle est complexe.

 

 

1.3.3)         Modélisation d’une pointe

 

 

C’est à Tersoff et Hamann [11-14] que l’on doit les premiers calculs d’image tunnel sur les reconstructions de la surface Au(110), à partir de considérations simples sur la géométrie de la pointe et la forme des fonctions d’onde en présence.

 

         Dans leurs travaux, la pointe est modélisée par un puits de potentiel sphérique (orbitale atomique s). La fonction d’onde Ym associée à la pointe s’écrit sous la forme :

Y     (1.11)

 

Sur la figure 1.6, l'extrémité de la pointe est représentée comme une sphère de rayon R centrée en .

Figure 1.6 : Géométrie d’une pointe d’après Tersoff et Hamann.

 

         Les fonctions d’onde des états électroniques yn associées à l’échantillon de surface sont développées sous la forme :

 

Y          (1.12)

 

où k = Ö(2mF/h2), F représente le travail de sortie des électrons (considéré comme étant le même pour la surface et la pointe), est un vecteur d’onde de Bloch et  un vecteur du réseau réciproque de la surface. Ces fonctions d’ondes sont périodiques dans le plan de la surface et décroissantes dans le vide. A partir de ces définitions de Ym et Yn, l’expression analytique de la matrice de transition Mmn peut être calculée simplement.  On en déduit l’expression du courant tunnel suivante :

 

              (1.13)

 

         Cette relation montre que I est proportionnel à la densité d'états de la pointe Dpointe(EF) et à la densité d’états locale de la surface r(,EF) à la position  de la pointe et au niveau de Fermi. Les images STM représentent donc une mesure locale des courbes d’isodensités d’états. Il convient de prendre en compte l’influence de cette densité d’états dans l’interprétation des images. De plus, cette théorie montre que la résolution latérale ne dépend que la forme de la pointe. Dans la référence [11], Tersoff définit cette résolution latérale et l’exprime, tous calculs faits, sous la forme final simple : (2(R+d))1 /2 où cette expression, R et d sont exprimés en angströms.

         Pourtant, même si la théorie de Tersoff et Hamann permet de comprendre les images en microscopie à effet tunnel, elle n’explique pas toutes les observations expérimentales, comme l’origine de la résolution atomique. Lorsque la distance pointe-échantillon est faible, l’interaction forte entre la pointe et la surface doit être prise en compte, ce qu’ont fait W. Sacks et C. Noguera [15,16]. Dans ce cas, la théorie de Bardeen n’est plus valable.

 

 Chen et al. ont montré, dans un modèle unidimensionnel, que la rugosité (définie comme la différence de hauteur Zmax-Zmin) augmente en tenant compte des orbitales p et d [17]. En utilisant une chaîne linéaire dans le sens de déplacement x de la pointe, les matrices de transition  avec des orbitales s, p et d peuvent être déterminées simplement. Les rapports de rugosité s’écrivent :

 

      (1.14)

 

         avec K = Ö(2mF)/h et q = 2p/a où F représente le travail de sortie des électrons et a est le paramètre de maille. Pour F = 4 eV, K »1 Å-1 et avec a = 4 Å, on remarque que la rugosité augmente d’un facteur 1,6 pour une orbitale pz et de 3,7 pour une orbitale dz2. Il convient donc d’introduire des modélisations plus réalistes de la pointe pour décrire correctement les observations STM du point de vue théorique.

 

 

1.3.4)         Les images en microscopie à effet tunnel

 

 

En fonction de la différence de potentiel V entre l’échantillon et la pointe (le potentiel de la pointe est pris comme référence), les images STM peuvent être considérablement modifiées. En effet, en microscopie à effet tunnel, les images représentent une cartographie des courbes d’isodensités d’états au niveau de Fermi (comme l’indique l’équation 1.13). La figure 1.7 illustre l’influence de la différence de potentiel sur le courant tunnel.

 

Figure 1.7 : Contribution au courant tunnel en fonction de la polarité et de la tension.

 

         D’après l’expression du coefficient T(E) (relation 1.1), plus l’énergie des électrons est importante, plus la probabilité de transmission est grande. Dans ces conditions, les électrons contribuant au courant tunnel proviennent essentiellement du niveau de Fermi. Notons que la densité d’états de la pointe métallique peut être généralement considérée comme constante.

 

En polarité positive, les électrons tunnel traversent la barrière de potentiel de la pointe vers les états vides de la densité d’états n(E) de l’échantillon. Ainsi, une variation de tension permet de sonder les états vides de la surface.

 

En polarité négative, les électrons contribuant au courant tunnel proviennent du niveau de Fermi de la surface de l’échantillon. Dans ce cas, l’image devient peu sensible à la densité d’états pleins de la surface.

 

L’amplitude des effets spectroscopiques est en général très faible (quelques Angströms) et ne se rencontre que dans le cas d’observation en résolution atomique ou lorsque la rugosité est faible. Il est alors nécessaire d’observer la surface pour des valeurs de la tension différentes afin de dissocier, si possible, la topographie des effets spectroscopiques.

 

 

1.4   LES POINTES

 

 

         La pointe, lors d’un expérience de microscopie STM, est un élément crucial et difficilement contrôlable dans le temps. Dans ce paragraphe, nous allons décrire la méthode de préparation utilisée dans notre laboratoire. Les pointes de tungstène sont préparées en deux étapes.

 

La première étape consiste en une attaque électrochimique à l’aide d’une solution de NaOH. Cette technique permet de fabriquer, de manière reproductible, des pointes extrêmement fines avec des rayons de courbure, dans le meilleur des cas, de l’ordre de 5 à 10 nm [18].

 

 

Figure 1.8 : Dispositif de fabrication des pointes STM.

 

         L’extrémité du fil de tungstène est plongée dans la solution de NaOH (figure 1.8) avec une concentration de 2 moles/litre ; une tension continue d’environ 12 Volts est appliquée entre les deux électrodes pour activer la réaction chimique. Les ions OH- étant consommés lors de la réaction, la solution de NaOH n’est utilisée que pour quelques pointes. Lors du processus, le fil de tungstène se dissout en oxyde de tungstène au niveau du ménisque (jusqu’à la rupture du fil en deux) suivant la réaction :

 

 

 

         En mode DC, l’attaque électrochimique continue après la rupture du fil. Il est donc nécessaire de stopper la réaction dès cette rupture, pour conserver une pointe fine. Le dispositif électronique, présenté en figure 1.9, permet d’effectuer cet arrêt.

 

Figure 1.9 : Dispositif électronique utilisé pour arrêter

la réaction chimique (d’après un circuit du Naval Research Lab - 1990).

 

         Le diamètre du fil de tungstène diminuant sous l’effet de la réaction, il s’ensuit une diminution de  la différence de potentiel entre la pointe et l’entrée + du comparateur. Cette dernière est comparée à une tension Vréf afin d’arrêter le processus. La tension Vréf choisie correspond à la tension de rupture du fil. Notons que, la réaction s’effectuant dans le ménisque, il est très important d’éviter toute vibration lors de l’attaque électrochimique.

 

La figure 1.10 présente une image obtenue au microscope électronique à balayage d’une pointe STM en tungstène (diamètre du fil : 0,35 mm) réalisée suivant la méthode décrite précédemment avec une tension Vréf = 300 mV.

 

Figure 1.10 : Image de pointe STM obtenue par

microscopie à balayage électronique.

 

         La deuxième étape consiste à chauffer la pointe sous ultravide par bombardement électronique. La température à l’extrémité de la pointe est difficilement contrôlable. Cependant elle est suffisante pour éliminer les sels de soude restants de l’attaque électrochimique et induire une réorganisation de l'extrémité de la pointe. Un chauffage à plus haute température est possible mais risquerait d’arrondir la pointe. 

 

Lors de nos expériences en microscopie, aucun dépôt de matière n’est observé lors de l’approche et durant le balayage de la surface ; de plus, la résolution atomique est systématiquement obtenue sur la surface du substrat et des siliciures. Ces deux critères sont suffisants pour considérer cette technique de fabrication comme adaptée à nos besoins.

 

 

1.5   LE DISPOSITIF EXPERIMENTAL

 

 

         L’ensemble des expériences a été réalisé dans une enceinte sous ultravide (figure 1.11) avec une pression dans la gamme de 10-11 mbar afin d’éviter toute contamination (oxygène, carbone, hydrogène,…) pouvant perturber les analyses. Cette enceinte se compose d’une seule chambre permettant de préparer les pointes et les échantillons. Un bras xyzq, une canne de transfert et un manipulateur permettent de déplacer les échantillons du sas d’entrée rapide vers la chambre et les différents appareils d’analyse.

 

 

Figure 1.11 : L’enceinte UHV et ses équipements.

 

         Pour enlever la couche d’oxyde et reconstruire les surfaces, les échantillons, chauffés par effet Joule, sont placés sur un porte-échantillon solidaire du bras xyzq. Le bras permet de positionner les échantillons devant les évaporateurs, les dispositifs d’analyse en Diffraction d’Electrons Lents (DEL) et de Spectroscopie d’Electrons Auger, le canon à ions ou le pyromètre optique. L’appareil d’analyse DEL est particulièrement utile pour identifier les reconstructions de surface.

 

1.6   TECHNIQUES DE PHOTOEMISSION UV ET DE SPECTROSCOPIE DE DIFFUSION D'IONS 

 

 

         Une équipe de recherche du Laboratoire de Physique et de Spectroscopie Electronique de Mulhouse (L.P.S.E. UPRES A N°7014) s’est spécialisée dans l’étude des systèmes terres rares/silicium. Leurs résultats obtenus par diverses techniques d'analyse de surface, confrontés à nos résultats STM sur le siliciure d’erbium, ont permis une collaboration fructueuse. Dans ce contexte, une partie de mon travail (interface Er/Si-B) a  pu être réalisée au sein de l’équipe du Professeur Gewinner du L.P.S.E. pour caractériser les dépôts en photoémission UV et en spectroscopie de diffusion d’ions ISS. Ce paragraphe présente succinctement ces deux techniques d’investigation.

 

 

1.6.1)         Introduction aux techniques de photoémission

 

         L’explication de l’effet photoélectrique en 1905 par Einstein est à l’origine des diverses techniques de photoémission s’appuyant sur les théories d’interactions rayonnement-matière; pourtant, celles-ci ne sont apparues que dans les années 1970 et valurent à Kai Siegbahn le prix Nobel de Physique (1981) pour sa contribution à l’élaboration de l’ESCA (Electron Spectroscopy for Chemical Analysis) regroupant diverses techniques de photoémission telles l’UPS et l’XPS.

 

La photoémission XPS (X-ray Photoemission Spectroscopy) ou UPS (Ultraviolet Photoemission Spectroscopy) sont des techniques d’analyse de surfaces et d'interfaces très utilisées. Toutefois, elles ne permettent de sonder que les états électroniques occupés du solide, que ce soient des états de volume ou de surface (la photoémission inverse permet de sonder les états vides). Alors que la microscopie STM nous donne des images locales des surfaces (topographie et spectroscopie) dans l’espace réel, la photoémission UV détermine la population électronique moyenne dans l’espace réciproque.

 

Pour ces expériences, diverses sources de photons sont disponibles. Il est pourtant nécessaire de choisir convenablement la source de rayonnement pour extraire les électrons porteurs de l’information recherchée. En photoémission UV, on utilise un rayonnement ultraviolet issu de la désexcitation de l’hélium ou du néon (HeI : hn = 21,2 eV et NeI : hn = 16,8 eV) pour sonder les états dont l’énergie est de l’ordre de 0 à 20 eV sous le niveau de Fermi, avec en particulier ceux de la bande de valence. En irradiant l’échantillon avec des photons dont l’énergie est dans le domaine des rayons X (XPS) (par exemple une source Mg : Ka = 1253,6 eV), nous avons de plus accès aux niveaux de cœur des atomes.

 

L’autre élément important d’un spectromètre est l’analyseur. Celui-ci utilise un champ électrique agissant sur la trajectoire des électrons. L’analyseur présente une conception hémisphérique permettant aux électrons, après une déflexion de 180°, d’être détectés et amplifiés par un channeltron. Selon l’angle solide dans lequel les photoélectrons sont collectés par l’analyseur, la photoémission UPS est dite angulaire ou intégrée. Dans notre cas, l’analyseur collecte les photoélectrons dans un angle solide dont l’ouverture est de ±1° autour de la direction q, ce qui permet de mesurer à la fois l’énergie des photoélectrons et leur position dans la zone de Brillouin. De ce fait, cette technique constitue une sonde quasi-ponctuelle dans l’espace réciproque. Nous montrerons dans le paragraphe suivant que ce type de mesure permet en particulier de remonter à l’énergie des états occupés en chaque point de la zone de Brillouin. Elle permet donc de déterminer la structure de bandes expérimentale d’un cristal.

 

1.6.2)         La photoémission UV angulaire (ARUPS)

 

         La figure 1.12 présente la géométrie d’une expérience de photoémission et les paramètres généralement utilisés.

 

Figure 1.12 : Géométrie de l’expérience UPS.

 

La surface est éclairée par un rayonnement ultraviolet d’énergie hn. Dans le matériau, un électron est excité d’un état occupé Ei() vers un état vide Efi() (figure 1.13a),puis se propage vers la surface suivant une direction qint et jint [19,20]. Lorsque l’énergie hn du photon est supérieure à la barrière de potentiel F représentant le travail d’extraction d’un électron du solide, cet électron peut être extrait de la matière avec une énergie cinétique EC (figure 1.13b). Il est ensuite collecté suivant une direction caractérisée par les angles qext et jext. Un analyseur hémisphérique permet de comptabiliser le nombre d’électrons par niveau d’énergie : on obtient ainsi un spectre de photoémission (figure 1.13c) traduisant la probabilité de présence d’électrons ayant une énergie de liaison (EF-Ei).

 

Figure 1.13 : (a) principe d’excitation d’un électron par un photon, (b) diagramme de conservation de l’énergie, (c) spectre de photoémission.

 

         L’énergie cinétique étant liée à l’énergie de liaison des électrons, on obtient un pic à la position Ei sur le spectre de photoémission (figure 1.13c).

 

         De ce fait, l’évolution de l’énergie de liaison des états associés aux différents pics sur les spectres de photoémission, en fonction de l’angle qext, permet de déterminer la structure électronique des états pleins, caractéristique du solide cristallin dans l'espace réciproque.

 

Toutefois, dans l’analyse des résultats, il faut pouvoir dissocier les émissions provenant du volume et celles provenant de la surface, ce qui est généralement délicat. La périodicité tridimensionnelle du volume étant brisée par la surface, celle-ci introduit de nouveaux états électroniques appelés états de surface, localisés dans la bande interdite de la structure électronique du volume ou bien en bords de bandes de volume. On peut grossièrement distinguer deux types d’états :

·        les résonances de surface qui sont issues des états de volume par modification du potentiel cristallin et qui sont situées en bords de bandes de volume

·        et les états de surface vrais, situés dans les bandes interdites de la structure de bandes de volume.

 

Pour différencier les états de volume de ceux de surface, il faut tenir compte de leurs caractéristiques, dont quelques éléments sont donnés ici :

·        ils sont généralement plus sensibles à l’adsorption d’éléments étrangers que ceux de volume. Ceci n’est pas toujours le cas et ce critère seul ne suffit pas.

·        les ondes électroniques associées aux états de surface se propagent parallèlement à la surface. Ces états ont une énergie indépendante de la composante du vecteur d’onde  perpendiculaire à la surface. La grandeur  étant conservée, la courbe de dispersion Ei() doit être indépendante de l’énergie des photons. 

 

         Nous pouvons formuler simplement les relations liant l’énergie de liaison Ei et le vecteur d’onde . Dans l’approximation à un électron, le principe de conservation de l’énergie permet de décrire le processus d’excitation d’un électron par un photon à l’intérieur du solide :

 

     (1.15)

 

         Soit F le travail d’extraction. L’énergie cinétique Ec() d’un électron extrait de la surface est (figure 1.13c):

 

        (1.16)

soit      (1.17)

 

         La surface influence seulement la composante du vecteur d’onde  perpendiculaire à la surface. Les angles jext et jint sont égaux et la composante parallèle  est conservée, ce qui implique =. On en déduit les relations suivantes :

       (1.18)

 

         La mesure de Ec, pour une valeur de qext donnée, nous permet de remonter à la valeur de Ei(). Ce type d’expérience ne donne pas accès seulement à l’énergie initiale d’un électron mais aussi au vecteur d’onde  correspondant. Ainsi, en mesurant Ec pour chaque angle, les relations 1.18 nous permettent de tracer la courbe de dispersion Ei() décrivant l’évolution des états électroniques dans le réseau réciproque.

 

 

1.6.3)         La spectroscopie de diffusion d’ions de basse énergie ISS

 

 

         Alors que la photoémission UV extrait des électrons de la surface via une interaction rayonnement-matière, la spectroscopie ISS consiste à produire des collisions ions-surface [21]. La surface est bombardée par un faisceau d’ions monocinétiques de masse Mi. La mesure de l’énergie cinétique des ions diffusés par la surface permet de déterminer la nature chimique des atomes de surface. La figure 1.14 représente schématiquement le processus de l’interaction ion-surface.

 

Figure 1.14 : Schéma de l’interaction ion-surface.

 

         Dans ce type d’expérience, un atome de surface est considéré comme isolé et l’équation régissant l’interaction peut être décrite par la mécanique classique. De ce fait, un ion incident de masse Mi, d’énergie Ei et de quantité de mouvement  interagissant avec la surface sous l’angle x est dévié après la collision. L’atome de surface acquiert une énergie Ea et une quantité de mouvement  alors que l’ion rétrodiffusé voit son énergie et sa quantité de mouvement modifiées.

 

         En écrivant les lois fondamentales de conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement, on peut établir la relation 1.19 reliant l’énergie des ions diffusés et la masse des éléments chimiques présents en surface dans une direction de détection donnée par l’angle q :

  (1.19)

 

         Expérimentalement, les ions incidents sont des ions He+ ce qui permet de mesurer les masses Ma de tous les atomes à partir du lithium. On obtient ainsi un spectre ISS, comme celui de la figure 1.15, présentant des pics à certaines énergies, spécifiques de la masse des diffuseurs et de l’angle q sous lequel sont collectés les ions diffusés.

 

Figure 1.15 : Spectre ISS pour une direction donné dans le cas du siliciure d'erbium.

 

Si on connaît Ei, Mi et q, la mesure de Ei' permet de déterminer Ma. Ainsi la position énergétique des pics dans le spectre ISS révèle la nature chimique des atomes présents sur la surface.

 

 

1.7   CONCLUSION 

 

 

         En seulement une vingtaine d’années d’existence, la microscopie en champ proche STM a su s’imposer parmi les principales techniques d’investigation des surfaces. L’arrivée de cet instrument d’analyse a modifié complètement la connaissance des surfaces en offrant des images locales de la topographie et de la spectroscopie avec une résolution pouvant atteindre l’échelle atomique. Dans des conditions d’ultravide, les images en résolution atomique ont permis de mieux comprendre les mécanismes de reconstruction des surfaces et de croissance, de mesurer localement le comportement électronique, et de confirmer des modèles structuraux obtenus par des techniques non locales.

 

         La capacité d’obtenir des images locales permet aussi d’observer des structures non détectables avec d’autres techniques d’analyses et donc de mieux comprendre les mécanismes de formation d’une interface. Les informations sur la morphologie de la surface, sur ses propriétés électroniques et sur sa nature chimique, obtenues respectivement à l’aide de la microscopie STM, de la photoémission UV et de la spectroscopie ISS, donnent ainsi une « image » très complète de l’interface étudiée.

 

         Remarquons que, contrairement aux techniques de photoémission qui analysent sur des surfaces d’environ 1 cm2, la microscopie en champ proche STM apporte des informations concernant des surfaces de quelques mm2 au maximum. De ce fait, compte tenu des éventuelles inhomogénéités dues à la température de recuit et au dépôt, de nombreuses expériences sont nécessaires pour s’assurer que les images sont bien représentatives du comportement global de l’interface.

 

 

Références bibliographiques du chapitre 1:

 

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